Le seul bruit qui retentissait encore dans la cuisine était le bruit presque mécanique, rapide, du couteau glissant sur la planche. Un claquement aurait équivalut à un mauvais point. Il avait déjà pris des coups de poêle pour ça quand il s'entraînait en France. Il n'y avait plus personne dans la cuisine. Plus que lui et les ingrédients, ainsi que les quelques commandes tardives des employés incapables de faire cuire un œuf seuls. Exaspérant, mais ça lui donnait l'occasion de cuisiner encore, un peu plus longtemps. Il en profitait souvent pour tester de nouvelles recettes, dans le secret de la cuisine, après les horaires de fermeture. Ils s'étaient mis d'accord sur cela lorsqu'il avait signé son contrat. Et ce soir, une fois qu'il aurait terminé son service, et rangé la cuisine, qu'il voulait parfaite et sans taches, il irait s'installer dans son nouvel appartement de fonction. Il était là depuis presque un mois, mais ses affaires avaient mis un peu de temps à arriver. Au départ la situation avait été inconfortable, mais il avait le principal sur lui, sa batterie de couteaux.
Il prépara un dernier repas, le sien, qu'il mangeait toujours après le service pour qu'il le lui pèse pas, quelque chose de sain et léger, puis nettoya et rangea tout, avant d'aller se doucher et se changer dans les vestiaires attenant. Encore une demande peut-être inconsidérée, mais qui lui avait été accordée. Les cheveux humides et en bataille, les lunettes chaussées sur son nez, et vêtu d'un confortable bermuda et d'un t-shirt clair, il prit son sac et monta jusqu'à la chambre. Une colocation. Pas exactement ce qu'il avait rêvé de vivre pour son arrivée au Japon, mais il avait des horaires qui ne lui permettaient pas forcément de faire des trajets à rallonge comme c'était de toute évidence souvent le cas ici. L'instant où il avait franchi les portes, il avait abandonné son air relativement agréable, promenant à nouveau un regard froid sur le monde.
Devant la porte, il frappa et entra, n'attendant pas qu'on le lui signale. Il était, après tout, chez lui également. Il détailla son colocataire qu'il salua à peine d'un hochement de tête, observant l'agencement qui n'offrait absolument aucune intimité. Il avait l'impression de se retrouver à nouveau en internat. Des appartements avec deux chambres, c'était apparemment trop demander. Il posa le sac sur son lit sans un mot et commença à ranger ses affaires, indifférent.